Tout d’abord signalons qu’on a donné les détails de la vision malikite sur ce qui permet d’enlever les souillures (najâsât) voir :
http://www.doctrine-malikite.fr/L-eau-pure-et-purifiante_r85.html
Dans cet article on a détaillé la différence entre l’eau pure non purifiante et l’eau pure et purifiante pour l’école malikite.

On s’intéresse dans ce qui suit à une nouveauté des temps modernes, qui a fait débat entre les savants pour savoir si cela permet d’enlever les souillures ou non- il s’agit du nettoyage à sec.

L’entretien des textiles de toute nature, qu’ils proviennent de vêtements ou d’ameublement est une activité qui ne se fait de nos jours plus à la main, mais dans la majeur partie des cas dans des machines...
Prenons l’exemple du nettoyage à sec :
La technique de nettoyage à sec consiste à utiliser un solvant pour nettoyer les textiles notamment du White spirit (la technique utilisée en blanchisserie fait appel aussi à l’eau entre autre).
Un grand nombre de produits chimiques est utilisé dans le nettoyage à sec :
*nettoyants (perchloréthylène, trichloréthylène, …),
*détachants (produit à base d’acide fluorhydrique pour la rouille, ammoniaque associée à des alcools et à des tensioactifs pour le sang, essence de térébenthine, xylène, toluène, white spirit, alcool éthylique, alcool isopropylique, alcool butylique, alcool méthylique, cyclohexanol, acide lactique, acide sulfosuccinique, acide acétique, glycols (dont éthers de glycols), acétate de n butyle, éthanolamine (di et tri), thiourée, tensioactifs, protéases, …
* sel pour l’adoucisseur d’eau,
*filtres dont certains peuvent contenir de la silice (terres de diatomées)

Citons au passage l’avis de l’école hanafite :
« L’eau pure ou tout liquide pur (non souillé) est considéré pur mais non purifiant et peut être utilisé pour purifier les souillures réelles (comme l'urine...), mais pas pour éloigner l'état d'impureté rituelle dans laquelle se trouve la personne qui n'a plus ses ablutions mineurs ou qui a accompli une action nécessitant de sa part qu'il renouvelle son ablution majeure (ghousl). En d’autres termes, on peut utiliser -selon l’école hanafite- cette eau ou ce liquide pour enlever la souillure mais pas pour faire nos ablutions mineures ni majeures.
Quelques exceptions à cette règle :
*L'eau à laquelle on a mélangé quelque chose dans le but de la rendre plus nettoyante, comme du savon ou des feuilles de jujubes.
*L’eau dans laquelle sont tombées des feuilles d’arbres, mais d'une telle quantité qui n’a pas modifié la fluidité de l’eau.
*L’eau courante qui se mélange à la terre.
Dans ces trois cas, l'eau restera pure et purifiante. »
Voir entre autre: Al-Fiqh 'al-alâ al-madhâhib al-arba'a d'Al-jazîrî tome I,page 35 et 42.

Revenons maintenant à notre problématique :
Extrait d’une analyse et Fatwa détaillées du Faqîh ‘Abdellah BenTaher (al Majlis al-‘ilmî Agadir/Maroc) paru dans Majallat al-madhab al-mâliki n°3/année 2007-1428 page 17 à 44 :
« Les nettoyeurs rituels chez les malikites et leur relation avec les nettoyages de notre époque :
Chapitre : nettoyage par le séchage :
…Le nettoyage à sec est utilisé de nos jours à grande échelle surtout pour nettoyer des vêtements dont l’eau pourra altérer les couleurs…Dans les laveries on utilise plusieurs produits [on en a décrit certains ci-dessus] puis les vêtements sont séchés par un grand fer à repasser à vapeur.
La question que beaucoup pose : est ce que cela suffit pour nettoyer les souillures (najâsât) [qui peuvent exister sur ces vêtements][à ne pas mélanger salissure et souillure] d'autant plus que plusieurs vêtements sont mélangés?
Pour répondre à cette question : il faut savoir si la souillure s’enlève « légalement » par autre que l’eau ? Et savoir si le séchage purifie rituellement (c'est-à-dire enlève « légalement » la souillure ou non) ?

Premièrement : historiquement, les savants (juristes) ont divergé et on distingue deux avis :
1.L’avis des écoles malikite, shafiite et hanbalite qui affirment dans la version la plus authentique parmi leurs versions : que seule l’eau permet d’enlever « légalement » la souillure. C’est ce qu’affirme aussi Muhammad Ibn Alhasan parmi les hanafites.
2.L’avis des hanafites qui affirment qu’on peut enlever « légalement » la souillure par tout liquide pur (non souillé).
Signalons que l’avis le plus authentique est le premier car soutenu par des preuves fortes et permettra au fidèle de prendre ses précautions et d’être ainsi apaisé dans sa conscience religieuse.
Cependant le deuxième avis est plus souple et permet de lever la difficulté et faciliter la vie des gens.
Ainsi, l’avis le plus solide étant que le white spirit [et autre produits utilisés dans ce nettoyage à sec] n’enlèvent pas la souillure. Mais le plus facile est d’adopter l’avis d’Abû Hanîfa (RA) pour faciliter la vie des gens qui utilisent cela à très large échelle, d’autant plus qu’on sait que pour ces vêtements l’utilisation de l’eau est nuisible (les dégradera).

Deuxièment : la purification par séchage est considérée comme une purification légale (qui enlève donc les souillures) chez certains savants comme Muhammmad Ibn Al-hanafiyya, Al-hasan Al-basrî et Muhammad Ibn Al-Hasan le compagnon d’Abû Hanîfa et c’est donc l’avis connu de l’école hanafite et une version (qawl) chez les shafiites et hanbalites. Ibn Taymiyya a mis en avant cet avis dans ses Fatwas en disant : « cet avis est plus fort par ses preuves textuelles et par l’analogie »[1]
Ainsi, le nettoyage à sec est une purification « légale ».
Et Dieu en sait plus. »
Fin de citation.


Notes importantes :

[1] Pour respecter la divergence à ce sujet, les malikites ont dit que celui qui fait Tayammum ou sa prière sur une terre qui a été souillée par de l’urine mais qui a séché : sa prière est valide mais il est préférable pour lui de refaire cette prière si son temps n’est pas dépassé. Ceci pour respecter l’avis de ceux qui disent que la terre est propre (rituellement) par séchage au soleil ou au vent.
(Ref : Al-Mudawwana al-kubâra de Mâlik 1/44 et hâshiyat ad-dasûqî ‘alâ ash-sharh al-kabîr 1/161)

Parmi les preuves avancées par les hanafites :
Al-Bukhârî et Abû Dâwud rapporte dans le chapitre « Tahûr al-ardi idhâ yabisat » (purification de la terre si elle sèche) : ‘Abdullah Ibn Omar (que Dieu l’agrée) a dit : « je passais la nuit à la mosquée à l’époque du Prophète (paix et salut sur lui) et j’étais jeune célibataire et les chiens urinaient allaient et venaient dans la mosquée et ils[les compagnons] ne versaient point d’eau sur cela » [Sahîh Al-Bukhâri, 1/75 et Sunan Abî Dâwud 1/104]
Ibn Hajar commente ce Hadîth en disant : « …si le séchage ne permettait pas la purification, ils n’auraient pas laissés la terre sans y verser l’eau… »

Parmi les preuves avancées par les malikites eux pour dire que seule l’eau permet la purification légale et l’enlèvement des souillures : le Hadîth du bédouin qui avait uriné à la mosquée :
« Un jour, alors que le Prophète(paix et salut sur lui) était assis avec ses compagnons dans la mosquée, un bédouin rentra et se mit à uriner quelque part, au sein de cette mosquée; quelques gens se précipitèrent alors sur lui pour l'empêcher (dans une autre version : Les fidèles l'appréhendèrent à l'envi), mais le Prophète (Que la paix et le salut soient sur lui) s'écria: 'Laissez-le faire, ne l'interrompez pas, versez ensuite un sceau d'eau --- ou une jatte d'eau --- sur cette urine. Vous n'avez d'autre mission que de rendre toute chose facile et non de rendre les choses pénibles.'
Quand l'homme eût fini d'uriner, le Prophète donna l'ordre d'apporter une jatte d'eau et la répandit lui-même sur l'endroit souillé.
Dans une autre version : le prophète (Que la paix et salut soient sur lui), le convoqua et lui dit : Les urines et autres souillures n'en conviennent guère aux mosquées, celles-ci sont plutôt faites pour l'invocation d'Allah, les prières et la récitation du Coran.
Puis il se retourna à ses compagnons et leur dit : 'Allah ne vous a suscités que pour faciliter les obligations et ne vous a jamais suscités pour les rendre difficiles» le Prophète ordonna par la suite un seau d'eau et le versa sur l'endroit souillé.
Le bédouin, pris de stupeur de l’attitude du prophète (sur lui la paix), sa miséricorde et sa tolérance, dit alors : « Ô Allah, soit miséricordieux envers moi et Muhammad et éloigne les autres de ta miséricorde ! » Le prophète (sur lui la paix et le salut) réplique en souriant : Tu restreint là, quelque chose des plus vastes (la miséricorde d'Allah) ! »
[Al-Bukhârî : Livre des ablutions, CHAPITRE LVIII. --- Du fait de verser de l'eau sur l'urine dans la mosquée et Muslim dans le livre de la Purification, Hadîth : 427]